La Jeune ménagère – 1

Cher·e· s ami·e·s,

Si vous m’avez déjà lue, vous savez que je me targue d’un féminisme imparfait, mais de bonne volonté. Autrement dit, si j’en crois les médias, je suis une sorte de catin ayant à cœur de déstabiliser notre société en utilisant des mots en « ice », en cassant l’ambiance en soirée et en dégustant les testicules de mes contemporains en rillettes.

Mais à l’heure où chacun·e est forcé·e, soit de sortir vivre des journées épuisantes et dangereuses -à se faire postillonner dessus par une ribambelle de clients ou à brancher des respirateurs artificiels sur des patient·e·s à qui on a sans doute dit il y a quelques semaines « oh allez, on se fait la bise »-, soit de rester confiné·e chez soi à observer avec une attention inédite ses enfants, sa moitié ou les joints de sa salle de bains, je réfléchis moi aussi à des questions de fond.

Est-ce que finalement, ce qu’il me faudrait en ces temps d’incertitude, ça ne serait pas de trouver le chemin de la rédemption vers le statut de Femme Respectable™ ?

Exhumé de ma pile des cadeaux improbables, j’ai donc la joie de vous présenter l’ouvrage de référence qui va m’accompagner vers la Lumière (et le renoncement à toute prétention d’égalité salariale) : La Jeune Ménagère.

Je vous propose de parcourir ensemble ce guide précieux. J’en suis persuadée, il recèle bien des trésors et, d’ici à ce que le pire de l’épidémie mondiale soit passé, il pourra j’espère faire de moi (et de vous aussi, mes sœurs et mes alliés jusqu’ici perdu·e·s pour la vertu), des citoyen·ne·s ordonné·e·s, obéissant·e·s, et avec les oreilles bien propres (pas sûre qu’il y ait un chapitre sur la propreté des oreilles mais à mon avis, même si on échappe à ça, il y a un chapitre « Soins du corps » et « Application d’un vésicatoire », on ne va pas être déçu·e·s).

Commençons par le commencement, déjà, et pas de ces fariboles de la page 111 ou que sais-je, dites, c’est pas une communauté autogérée ici, bande de punks à chiens.

(Et ce d’autant plus qu’à la page 111, nous avons le chapitre 40 – Nettoyage de la Cuisinière, ce qui implique apparemment une « boîte de mine de plomb en pâte », chose que j’ai bien sûr toujours par-devers moi, évidemment, et si vous non, écoutez, faudra pas vous étonner d’aller en enfer hein.)

En route. Découvrons ensemble l’Avant-propos.

Petite fille, c’est pour toi que j’ai écrit ce livre. Je souhaiterais ardemment qu’il te plût, car j’y ai mis beaucoup de mon cœur. Je voudrais qu’en le lisant tu comprennes que le bien-être et le bonheur des tiens sont placés en tes frêles mains d’enfant.

Zéro pression.

Tu es le sourire et la joie de la maison, petite fille. Sois aussi la fée qui transforme et embellit tout ce qui l’entoure.

Ceci est faux. Enfant, j’ai entrepris de dessiner sur les murs, croyez bien qu’on m’a fait comprendre immédiatement que mon rôle n’était pas d’embellir le décor. Ça doit être comme ça que j’ai perdu le Nord et que je me suis laissée aller à réclamer l’accès à l’IVG et du savon dans les toilettes.

Sois secourable et bonne à toutes les infortunes, pour qu’à ton aspect le malade se réconforte, pour que l’infirme se console,

Super, de par le pouvoir de ton joli sourire tu es supposée guérir les écrouelles.

pour que le vieillard te bénisse.

MAIS ENFIN ET LES GESTES BARRIÈRE, MERDE ?!?

Sois active,

Je vais être transparente : je soupçonne fortement cet ouvrage d’avoir été écrit par une macroniste.

sois courageuse, pour que ta mère ait moins de mal à élever ton jeune frère ;

… ah oui donc le postulat de base est que les hommes sont des boulets, c’est pas ça qui va nous ramener sur le droit chemin mais ça a au moins l’avantage d’être clair.

pour que le dimanche, après le rude labeur de la semaine, la famille se réunisse joyeuse autour de la table où fume le mets appétissant et simple préparé par tes soins.

Oui, parce que dans le manuel de La Jeune Ménagère, les hommes se reposent le dimanche et les femmes se reposent quand elles sont mortes. Le reste du temps, il faut cuisiner des mets appétissants et simples, guérir les vieux, torcher les mômes mais surtout sans oublier de sourire.

Si ta demeure est riante et propre, et si le soleil entre gaiement par les fenêtres aux blancs rideaux,

S’il pleut, c’est de ta faute. #TraduisonsLes

se jouant sur les meubles qui brillent, le père et le grand frère ne songeront guère à s’échapper pour courir au cabaret.

Oui car en tant que petite fille, tu dois t’assurer que ton père et ton grand frère ne vont pas au CABARET.

Oh ! Chère petite Française, comme tu aurais bien mérité de la patrie, si, par amour et par adresse, tu arrivais à faire de la maison paternelle

(Oui, elle nettoie tout en souriant et en bordant les lépreux mais ça reste la maison de son père, oh dis, faut pas déconner hein)

un nid réchauffant et confortable d’où l’on ne sortirait que pour aller au travail !

(J’ai bien fait de ranger ce texte dans la rubrique « Confinement », moi, tiens. )

Enfin, sois fière, – dans le bon sens du mot,- sois fière de ta personne, car c’est une légitime et noble aspiration que de vouloir loger une belle âme en un corps bien soigné. Et si tu y parviens, quelque modeste que soit ta condition, tu t’assureras le respect de tous.

Qu’il ne te vienne surtout pas à l’idée de prendre une pause, fumer une clope, lire un livre pour le plaisir, et surtout pas d’aller AU CABARET. Sinon tu perds tout respect et il est bien connu que le respect de gens dont tu n’as jamais entendu parler vaut largement un joint et une pizza quatre fromages.

Adieu, mon enfant. Aime ton petit livre, et conserve-le soigneusement ; qu’il te soit un guide et un ami.

Et avec un ami comme ça, pas besoin d’ennemis.

Jeune fille, tu le reliras peut-être avec plaisir, car il te rappellera les heures vites envolées de l’enfance.

C’est sûr que le temps passe vite quand on s’amuse (ici « s’amuser » = trimer dix-huit heures par jour pour brosser le poêle à la pâte de mine de plomb et à encaustiquer une baraque dont on n’héritera jamais, pour éviter que les hommes aillent AU CABARET. )

Jeune femme, il te rendra encore quelques services à l’heure grave où, à ton tour, tu auras une famille à élever, à soigner, à préserver de la maladie.

So much fun waiting ahead !

Alors je penserai que je n’ai pas perdu mon temps, et moi aussi vois-tu, si humble qu’ait été ma tâche, j’aurai fait, comme toi, quelque chose pour la patrie.

Julie SEVRETTE*.

*(Et forcément, mon correcteur propose « levrette », ces semaines vont être très longues.)

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